08 JUL 2019

Vincent Florens : « Détruire la biodiversité, c’est nous détruire nous-mêmes »

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Professeur d’écologie à l’université de Maurice, Vincent Florens explique le lien entre la conservation de la biodiversité et la protection de l’environnement.

Pourquoi la conservation de la biodiversité est-elle importante ?

Parce que nous dépendons directement et indirectement de la biodiversité, et que de nombreuses activités humaines se conjuguent pour entraîner une extinction de masse. Détruire la biodiversité est donc un moyen indirect de nous détruire nous-mêmes. Toutes les espèces sont endémiques à quelque part et jouent leur rôle écologique pour maintenir un écosystème fonctionnel et résilient. Plus on détruit les espèces, plus on dérègle l’écosystème et plus on récolte des méfaits comme les inondations, les incendies, les maladies ou l’épuisement des ressources qui appauvrit et engendre même des conflits, jusqu’aux guerres.

Donc, le lien entre la préservation de la biodiversité et le changement climatique est clair ?

Oui. Beaucoup d’activités humaines qui déciment la biodiversité sont les mêmes que celles qui exacerbent le changement climatique. On peut citer en exemple la déforestation qui non seulement détruit les espèces, mais exacerbe aussi le réchauffement climatique puisqu’elle relâche dans l’atmosphère le carbone emprisonné dans ces forêts et dans le sol en dessous. Et puis, bien sûr, le changement climatique ainsi exacerbé va à son tour accélérer la perte de biodiversité, par exemple en favorisant les sécheresses qui augmentent la fréquence et l’intensité des feux de forêts. Ce cycle infernal peut être combattu, entre autres par la reforestation ou la restauration écologique.

Mais justement, pourquoi est-ce important de restaurer une forêt à son état originel ? Pourquoi est-ce qu’une forêt tout court ne suffit pas ?

Une forêt tout court est mieux que rien, mais une forêt restaurée au plus proche possible de son état d’origine est encore mieux puisqu’elle abritera un plus grand nombre d’espèces et de fonctions écologiques, chose qui nous est bénéfique. Par exemple, une espèce peut renfermer une molécule qui nous permettra un jour de combattre une maladie, une bactérie devenue résistante aux antibiotiques, ou alors elle pourra être le pollinisateur qui évitera que vos fruitiers ne donnent que des fleurs.

Les conservationnistes parlent beaucoup d’extinction des espèces et surtout de l’importance d’éviter cette extinction. Mais l’extinction, c’est la mort et n’est-ce pas là le cycle même de la vie ?

Les conservationnistes ne s’intéressent pas à combattre l’extinction, un phénomène naturel qui a toujours existé. Nous combattons le taux excessif d’extinction causé par les activités anthropiques, un taux ayant atteint, selon diverses estimations, cent et mille fois le taux naturel. À ce rythme, nous nous lançons allègrement vers notre propre fin de cycle prématurée, ce qui détonne remarquablement avec le nom scientifique que nous avons donné à notre espèce : Homme sage (Homo sapiens).

Mais quand une espèce disparaît, n’est-elle pas remplacée par une autre ? N’est-ce pas là une façon pour la nature de « régler » le problème ?

En quelque sorte, oui. Par exemple, les rats introduits par les humains ont remplacé, par prédation, une multitude d’espèces d’oiseaux, de reptiles, etc. sur un très grand nombre d’îles au monde. Des moustiques introduits par les humains ont décimé des populations d’oiseaux en leur passant la malaria aviaire. Maintenant qu’ils ont remplacé ces vides, ils doivent bien trouver de quoi ronger ou piquer, et comme les humains ou leurs nourritures ne sont jamais trop loin, ils commenceront à s’attaquer à nous plus directement. En d’autres mots, ce n’est que quand cela affectera notre survie que l’on comprendra que ce qui est néfaste pour la biodiversité l’est aussi pour nous.

Avez-vous l’impression que la question de la préservation est incomprise du public en général ?

Suffisamment en tous cas pour nous placer là où nous sommes aujourd’hui. Il me semble que beaucoup trop baignent encore dans l’impression que protéger l’environnement est un luxe, sans se rendre compte que bon nombre de leurs « préoccupations prioritaires » découlent justement d’un environnement dégradé par nos actes les moins intelligents. Mais depuis 1987 que je m’intéresse concrètement à la conservation de l’environnement et de la biodiversité en particulier, je constate une amélioration en général dans le monde comme à Maurice, une sensibilisation grandissante, particulièrement chez les plus jeunes. Ce qui est encourageant.

Même si en général, les gens comprennent que l’activité humaine a un impact sur la dégradation de l’environnement, il semble que les actions ne suivent pas ; on bétonne toujours, on consomme encore plus de plastique, on abat toujours des arbres. Quelle est la conséquence sur la vie des gens s’il n’y a pas d’efforts de conservation ?

S’il n’y a pas d’efforts de conservation, il va falloir faire face de plus en plus souvent à des situations désagréables et dangereuses avec de moins en moins d’options et de ressources en main et à terme, se débrouiller pour survivre dans un monde beaucoup plus pollué, plus appauvri, ingrat et dangereux. Pas du tout ce dont rêve l’Homme sage.

Pourquoi, selon vous, les actions ne suivent-elles pas ?

Je pense que c’est dû au côté graduel des choses. L’humain a tendance à vivre au jour le jour, mais la nature fonctionne dans un autre laps de temps. Il y a des choses qui se passent à plus longue échelle, il y a des dégradations qu’on ne perçoit pas dans notre laps de vie et qui vont affecter la prochaine génération. Par exemple, le Rodriguais va se dire que son île a toujours été sèche parce que c’est tout ce qu’il a connu, mais ce n’était pas la réalité de son ancêtre qui, lui, a connu de l’eau dans les rivières.

Du coup, ça nous endort en nous faisant penser que les choses ont toujours été ainsi. D’autre part, la nature fonctionne selon une certaine variabilité. On va avoir des sécheresses mais pas tous les ans, donc on a le temps d’oublier entre-temps puisque la nature humaine est de réagir dans l’immédiat et puis d’oublier. La nature fonctionne dans un laps de temps qui nous dupe et qui nous donne un false sense of security.

La nature peut absorber beaucoup de chocs, mais passé un seuil, elle se stabilise à un niveau plus pauvre. La nature ne va jamais disparaître ; elle va juste s’appauvrir, devenir plus ingrate, plus difficile pour nous à apprivoiser, à produire de la nourriture — l’érosion va faire qu’on aura moins de fertilité dans le sol, donc il faudra cultiver sur plus de surface, ce qui fait plus de travail, par exemple. On continuera à avoir cette nature, mais elle sera appauvrie. Comme la biodiversité a été appauvrie au fil des années.

La notion de développement économique est-elle contradictoire avec la protection de l’environnement ?

Le développement économique est un concept très intéressant dans le sens qu’il s’agit d’élever les gens de la pauvreté et d’arriver à une situation d’équité, mais le concept a déraillé ; ce concept d’élever la vie des gens a été détourné à d’autres fi ns. De nos jours, tous les projets de développement se justifi ent par le fait qu’ils donnent du travail aux gens. Mais en réalité, la richesse du monde est concentrée entre les mains d’un tout petit groupe de gens et les inégalités ont augmenté, de même que la destruction de l’environnement.

Le problème, si on ne ralentit pas le rythme du développement comme on le conçoit actuellement, est qu’on se retrouvera dans une situation où il faudra sans cesse faire du firefighting. La hausse du niveau de la mer, la situation des océans, l’érosion des sols, la perte de terres arables, les maladies qui vont éclater de plus en plus avec la résistance aux pesticides, les pénuries d’eau, de nourriture et j’en passe.

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